Election du successeur du pape François : « Le prochain pape aura à beaucoup écouter » dixit Cardinal Nzapalainga

L’archevêque de Bangui en Centrafrique est arrivé à Rome pour le conclave. Il reste marqué par l’humilité du pape François, ses paroles politiques et prophétiques. D’après lui, le prochain pape devra être celui de l’unité et de l’écoute.

Dieudonné Nzapalainga, archevêque de Bangui en Centrafrique, a été créé cardinal par le pape François en 2016. Il avait fortement impressionné le souverain pontife lors de sa visite, l’année précédente, dans ce pays ravagé par un conflit sanglant. Son combat inlassable pour la paix, son courage et sa capacité à ouvrir le dialogue même dans les situations les plus complexes en font l’une des personnalités qui compte sur le continent africain. Pendant qu’ont commencé à Rome les congrégations générales et que les 135 cardinaux électeurs sont en route pour entrer en conclave, il a accordé un entretien à La Vie.

Quel est votre souvenir le plus marquant du pape François ?

C’est sa venue en Centrafrique, en 2015. Il était entré dans le quartier PK5, une enclave musulmane au cœur de Bangui, la capitale, où régnaient des groupes armés, eux-mêmes attaqués par les miliciens qui entouraient ce quartier. Après un rapide discours, il s’est assis sur une chaise et a enlevé ses chaussures en signe d’humilité. Il a pris la main de l’imam et ils sont entrés dans la mosquée centrale. Ce n’était pas prévu. Ce geste a beaucoup touché les musulmans présents. Pour moi, cette attitude dit beaucoup de la façon dont François a vécu son pontificat en serviteur humble, traduisant l’Evangile concrètement dans sa vie. Quand il est sorti du quartier PK5, les musulmans ont suivi. Quand il est sorti du quartier PK5, les musulmans ont suivi son cortège sans réfléchir pour rejoindre le stade où avait lieu la grand-messe. Il faut s’imaginer que, dans ces mêmes quartiers, encore deux jours avant, il y avait des morts ! J’ai pensé à l’exode du peuple d’Israël guidé par Moïse à travers la mer Rouge. Il les guidait hors de la violence pour les mener vers la paix et la fraternité

Pendant six mois, nous avons vécu comme si nous n’étions plus en guerre. Puis les démons de la haine se sont réveillés, mais cette période est restée comme une référence et une mémoire commune : non, la violence n’était pas la bonne voie. Sa venue n’était pas une solution magique, mais il indiquait une direction. À nous maintenant d’être acteurs de paix ! Personnellement, sa visite m’a donné le courage de poursuivre ma mission, parfois dans des conditions très hostiles. Il avait osé braver la difficulté et venir chez nous malgré le danger. Tout le monde lui avait dit que ce n’était pas possible mais il avait fait le saut de la foi.

Comment a-t-il marqué la Centrafrique, et plus largement l’Afrique, que vous sillonnez régulièrement comme cardinal ?

L’Afrique pleure un père qui a eu le souci de ce continent dès le début de son pontificat. Son geste sur l’ile de Lampedusa, où arrivaient beaucoup d’Africains, nous a touchés. C’est pour eux notamment que la Méditerranée se transforme en cimetière. François invitait l’humanité à ouvrir les yeux sur ce qu’il s’y passait et à entrer dans une logique de solidarité et de proximité avec le frère en danger.

L’Afrique pleure aussi un guide. Ses discours lors de sa visite en République Démocratique du Congo en 2023, ont été entendus dans toute l’Afrique. Il s’est élevé contre la prédation. Non, le Congo n’est pas un gisement minier où chacun peut se servir ! Nous pourrions pousser le même cri chez nous en Centrafrique. Il a rappelé que les peuples devaient être les protagonistes de leur destin. C’était un message à la fois politique et prophétique.

Enfin, chez nous, en Centrafrique, il a eu ces mots très forts sur le rôle des religions pour rassembler et a alerté sur les risques de manipulations de ces mêmes religions dans les guerres. Depuis son décès, j’ai reçu beaucoup de témoignages de musulmans me disant qu’ils pleurent un père, venu visiter non seulement les chrétiens mais aussi les musulmans. Ils me disent qu’il les a libérés. Ce sont des mots très forts.

Vous avez été créé cardinal par le pape François en 2016 et vous vous apprêtez à entrer en conclave pour élire le futur pape. Comment abordez-vous ce moment crucial pour la vie de l’Eglise ?

Avec beaucoup de sérénité. Le Seigneur qui donne la vie a rappelé son serviteur François. Il saura mettre dans le cœur des cardinaux le choix pour lui succéder d’un pasteur selon son cœur, un pasteur rassembleur.

Quel est selon vous l’enjeu majeur pour l’Eglise dans le monde aujourd’hui ?

Être capable de dire envers et contre tout que le repli sur soi n’est pas la solution. Le prochain pape devra lutter contre cette tendance à se barricader pour continuer à insister sur le destin commun de notre humanité et à construire des ponts. D’un point de vue spirituel, les chrétiens ont aussi à faire face à la morosité ambiante et à l’absence d’espoir de beaucoup de nos contemporains.

Le jubilé de lʼEspérance manifeste cette préoccupation. Ils doivent parler et agir pour hâter la venue d’un monde nouveau.

Et concernant l’Afrique ?

L’enjeu est que le prochain pape continue à avoir ce souci des plus pauvres, à porter la voix des sans-voix. Nous attendons aussi des paroles fortes vis-à-vis de nos gouvernants pour que nos pays aillent mieux et que lʼOccident cesse d’apparaitre chez nous comme un eldorado.

D’autre part, nous devons travailler pour l’inculturation. L’Afrique monte en puissance dans l’Église mais il ne faudrait pas que ce soit du folklore. Notre foi doit être vraiment existentielle. Sommes-nous prêts à mourir pour le Christ, pour la justice, contre la corruption ?

Concernant le clergé, qu’on sorte du cléricalisme pour devenir vraiment des serviteurs.

Le Synode sur synodalité a laissé apparaître des différences de préoccupations, voire des points de tension entre lʼOccident et le reste du monde, notamment sur les questions sociétales. Comment les voyez-vous ?

Chaque culture (occidentale, africaine, asiatique, etc.) est perfectible, chacune peut se poser des questions. Là aussi, il nous faut sortir du repli sur soi pour arriver à considérer que le problème de ma culture n’est peut-être pas un problème universel ni prioritaire. Notre repère doit être la Parole de Dieu et le magistère. Comme chrétiens, nous sommes dans le monde sans être du monde et nous devons veiller à ne pas nous laisser entraîner par le tsunami de la pensée du monde, accepter d’être à contre-courant dans beaucoup de domaines.

Cette grande diversité culturelle au sein de l’Eglise influence-t-elle sur sa gouvernance et la manière d’être pape ?

Je crois que les conférences épiscopales ont déjà une grande liberté qui permet de faire entendre ces différences. Prenez le cas de la déclaration Fiducia supplicans (qui donnait notamment la possibilité de bénir les couples homosexuels, ndlr) : les conférences épiscopales d’Afrique et de Madagascar ont pris la liberté d’en adapter l’application. Le pape a reçu nos questionnements, qui lui ont donné l’occasion de préciser certains points, par exemple l’absence de dimension sacramentelle des bénédictions.

Concernant le prochain pape, je crois qu’il aura à beaucoup écouter, selon la voie montrée par le Synode sur la synodalité, et à ne pas se précipiter dans ses actes.

Pensez-vous que l’heure soit venue pour l’Église de porter à sa tête un pape venu d’Afrique ou d’Asie ?

Je vous rappelle que François venait déjà d’Amérique latine ! Laissons lʼEsprit Saint éclairer les cardinaux pour nous donner un pasteur selon le cœur de Dieu, le cœur universel du Christ, qui puisse unir toute l’Église. Toute autre considération ne compte pas !